Tout là-haut sans oxygène.
Dès les premiers pas en altitude, j’ai compris, ou bien l’avais-je pressenti, que ces montagnes au plus près du ciel et des étoiles, représentaient de fabuleux moyens d’atteindre sa propre essence »
Shishapangma 8 027 m, Tibet.
J’écrivais cela en 2005, dans un article de presse ( Carnets d'expés, Altitudes Tibétaines. ) et aujourd’hui encore, en mettant la démarche en parallèle avec d’autres chemins, je mesure l’apport de mes voyages en altitude. Etre efficace en se concentrant sur chaque instant, mobiliser toutes ses ressources pour aller au sommet sans s’accrocher au résultat (içi les sanctions son évidentes), évaluer les situations et décider, apprendre la patience et la détermination, vibrer de ce lien avec la puissance naturelle, s’ouvrir à la conception des népalais et tibétains nés aux pieds de ces colosses, gérer la difficulté, et s’adapter.
Manaslu (8160 m). Panorama depuis le camp posé à 6 700 m environ, Népal.
La démarche sans oxygène, interpelle, les échanges à propos avec le public mes conférences m’ont fait ressentir cette réaction d’incrédulité lorsque j’exposais mon ressenti.
Ce serait tellement plus facile, les chances de parvenir au sommet seraient tellement plus grandes avec quelques bouteilles d'oxygène, que bien souvent ma démarche suscite l'interrogation. Etre bien sans bouteilles alors que leur utilisation est possible laisse dubitatif pas mal de monde, j’ai d’ailleurs été « cobaye » pour des chercheurs. Et pourtant…
L’altitude à une odeur, une puissance qui s’infiltre en nous et à laquelle le corps répond si l'on y prête attention, l’intensité de la lumière y est unique. Prendre de l’oxygène c’est un peu pour moi, comme marcher avec un walkman (ce qu’il m’arrive de faire), c’est inviter autre chose dans l’expérience de vie en court. |
Les chogolisa depuis le camp de base du Broad-Peak, Pakistan 2005. |
Vient ensuite la réflexion sur la manière de faire les choses et l’écoute de soi-même. Ai-je envie d’aller au sommet de l’Everest ou de vivre une expérience forte ? Des questions similaires, je m’en suis posées dans d’autres domaines. Si je reste dans mon égocentrisme, c'est-à-dire si je ne m’occupe que de ce que je ressens ou doit faire pour moi, le milieu himalayen rends l’authenticité de l’attitude davantage nécessaire. La sanction là-haut peut-être énorme, fatale. | Everest 1991, les espagnols nous accueillent, aujourd'hui certains d'entre eux sont devenus de chers amis. |
La fixette sur un désir de vaincre l’Himalaya (terme souvent employé pour une idée que je n’ai jamais eu), la cristallisation sur l’arrivée au sommet, sont de bons moyens de réduire les chances déjà faibles (compte tenu des éléments) d’y parvenir. Bien sûr que j’ai tout fait pour faire le dernier pas, voir ce qu’il y a de l’autre côté de cette cime qui barre le paysage depuis des semaines. En prenant soin de moi, en ne me battant pas contre les éléments, mais en m’y adaptant, en acceptant leurs colères, en profitant de toutes les amitiés vécues, de cet espace-temps propice à moi-même et bien sûr de l’environnement . |
Montée au col nord, Everest 2003. Face au mur. |
Le Pumori (à gauche) depuis la combe Ouest de l'Everest 1991, Népal.
Etre trop fixé sur l’objectif ne fait que renforcer les freins qui naissent à chaque caprice des montagnes, à chaque caprice de son corps ou de sa tête, tout évènement devient alors affaiblissement, plus rien d’autre n’existe. Il n’y a plus d’expérience réelle en cours, cette expérience qui justement pourrait permettre de grimper du mieux possible, demain ou à la prochaine expédition.
Petite soirée en solo, camp à 7500 m, sur le Cho Oyu (8 200m). | Si la question de l’oxygène s’est posée, c’est que durant longtemps, les scientifiques ont considéré que les conditions en haute altitude n’étaient pas réunies pour qu’un homme puisse y vivre même peu de temps, il a fallu que Reinold Messner le démontre pour que cela puisse être admis. A partir de 8000 m, on entre dans ce qui est défini physiologiquement comme la « zone de la mort », autrement dit la science de la physiologie a du mal à expliquer comment que des hommes parviennent à y survivre. |
Sommet du Cho-Oyu, 8 201m, Tibet. | Mais ils y parviennent, et je ne peux parler que pour moi, il est possible d’y parvenir en profitant réellement de la beauté de l’environnement et des vibrations internes que ce lien fort avec la nature éveille. Bien sur tout ce passe au ralenti, les capacités physique sont incontestablement réduites, et justement c’est peut-être là que se trouve la force du ressenti en même temps que bien des apprentissages. |
Le Shsishapangma, c'est pour demain. | Le cerveau peut effectivement vaciller, mais personne n’est obligé d’aller au-delà de ses limites, hormis les dangers objectifs (avalanche, météo qui se dégradent subitement…) redescendre à temps est toujours possible si l’on apprend à s’écouter, si l’on est sur de vouloir choisir la vie. |
Zone des séracs, Manaslu, Népal. | Si l’on compare deux démarches : aller au sommet à tout prix en se facilitant la tâche ou être prêt à renoncer en tirant profit de l’expérience, il est possible d’envisager les choses autrement. Aller au sommet d’un 8000, est-ce du sport ou de l’aventure ?Chacun sa route, la montagne est encore un espace de liberté ou chacun peut s’exprimer et vivre à sa façon, exit pour moi règles et éthique en ce qui concerne la démarche (je pense autrement pour ce qui concerne le respect de l’environnement et des hommes du cru qui sont d’un aide indéniable). |
Sommet du Broad Peak, 8 047m, expédition 2005, Pakistan. | Pour le sport, il est certainement préférable de choisir d’autres objectifs je pense, parce que les chances d’aller au sommet sont extrêmement faibles, même lorsque l’expérience et l’entrainement permette une meilleure adaptation et une attitude favorable. Pour moi c’est l’expérience de vie qui compte, surtout dans ces panoramas-là.
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Ma démarche est simple : c’est le chemin que j’emprunte qui prime, aller au sommet n’est pas une victoire, tandis qu’accepter les éléments tels qu’ils sont à un moment et accepter mon état à ce même moment m’est apparu être ce que je voulais vivre. Etre capable de renoncer éventuellement si ou moi-même ou les éléments devenaient des obstacles à ma survie, sachant que je me suis toujours donné comme objectif une victoire à honorer absolument : revenir.
Et il m’est arrivé d’avoir le plaisir immense d’être au sommet. Ainsi en a t-il été pour le Cho-Oyu, ci-dessous atteind un vendredi 13 Octobre à la troisème tentative.
Le Cho-Oyu, 8 201m, depuis le village de Tingri, Tibet Central.
A remarquer que bien évidemment, l’expression sans oxygène est fausse, il y a de l’oxygène partout sur terre, même à l'altitude des plus hauts sommets du monde. A cause de la pression qui diminue ce gaz est simplement moins disponible à 8000 mètres qu’au niveau de la mer. Nous sommes tous d'anciens fœtus et : Le fœtus présente une grande résistance à l’hypoxie résultant pour une large part d’une concentration en hémoglobine dans le sang accrue (17 grammes pour 100 millilitres de sang, alors que chez l’adulte, elle est de 15 grammes) et d’une affinité de l’hémoglobine fœtale pour l’oxygène supérieure à celle de l’hémoglobine adulte, ces deux facteurs permettent au fœtus de pallier en partie la diminution de la pression d’oxygène.
Docteur Jean-Paul RICHALET (extrait d’un article paru dans « Pour la science N°130 du mois d’août 1988). NB : Le docteur Richalet est un des grands spécialistes de la médecine d’altitude. |
Au sommet de l’Everest (8848 mètres), la pression atmosphérique n’est que le tiers de sa valeur du niveau de la mer, environ 250 millimètres de mercure. Passé 2000 mètres nous (qui vivons à des altitudes moindres) sommes tous confrontés à l’Hypoxie. Bien sûr plus on monte et plus les choses se compliquent car le nombre de molécules d'oxygène disponibles pour les cellules du corps humain ne cesse de décroitre. Malgré tout, survivre et même vivre quelques jours est possible.
Il existe des différences de réactions physiologiques à la haute altitude, qu’à priori l’entrainement ou l’expérience ne peuvent résoudre.
Everest 2003, ce qu'il me restait à faire. Image tirée d'une vidéo d'Olivier Besson, avec son aimable autorisation. | J’ai la chance d’avoir adopté l’altitude et l’Himalaya dès ma première visite au Népal en 1990, je n’ai jamais vomi, jamais fait d’œdème et je compte sur les doigts d’une seule main les rares moments où j’ai eu mal à la tête. Je suis revenue deux fois avec des gelures superficielles, ce sont elles qui m'ont imposée de renoncer à aller plus haut sur l'Everest en 2003 (je me suis donc arrêtée à 8 500 m environ). Je ne voulais laisser mes doigts sur une montagne, même sur la plus haute du monde. |
Le vent vient de se calmer, cela fait deux mois que les conditions sont dures, froid, vent qui a emporté nos camps parfois. J’ai renoncé au sommet il y a quelques heures, une heure après un départ nocturne du dernier camp (8 300 mètres), vers 8 500m environ, mes doigts commençaient à geler, le vent augmentant la température ressentie. Et là, soudainement, la température et le vent chutent enfin, tant mieux certains sont au sommet et redescendront dans de bonnes conditions. Je suis au niveau du camp 3 de l’Everest à 7 800 m environ, j’ai récupérer les vivres qu’il me reste, je me sens bien, alors je profite de cet espace tellement exceptionnel . Je prends le temps de me faire fondre beaucoup de glace pour me réhydrater, le bœuf bourguignon lyophilisé est délicieux comme jamais.
Ci-dessous, un extrait de mon film "Altitudes tibétaines" , ces 6 minutes concernent mon expéditions Everest 2003.
La donne a évoluée en quelques années.
Lorsque j’ai découvert l’Himalaya en 1990, il n’y avait pas de router météo, nous montions donc avec de grands points d’interrogation sur la possibilité d’atteindre le sommet ou même les camps.
Les bouteilles d’oxygène étaient très lourdes, leur poids a diminué de plus de la moitié depuis. Très peu de personnes en utilisaient sous la barre des 8 000 mètres, ce qui fait que, compte tenu du poids de la bouteille, le débit ne pouvait être important tandis que les alpinistes s’alourdissaient de 10 kilos. Au niveau de l’effort à produire, le gain de grimper, avec oxygène était de ce fait réduit.
Aujourd’hui, beaucoup se branchent vers 7000/7300 mètres.
A peine de retour du sommet du Shishapangma, Tibet central. Un moment sympa. |
Mer de nuage dont le Cho-Oyu emmerge, Camp 2 de l'Everest/7800m, tibet central. |
Je ne suis pas monté autant que je l’aurais voulu. La vie est forte, parfois dure.
A l’heure ou ma grand-mère, malade Alzheimer s’est retrouvée seule chez elle, son mari et son fils unique étant mort, je n’ai pas pu l’abandonner dans une maison de retraite en cette période d’une extrême dureté pour elle et moi, j’avais 30 ans, des projets plein la tête, ne penser qu’à moi me semblait cruel.
Une année plus tard la mort sur le Dhaulagiri de ma meilleure amie, Chantal Mauduit (ci-dessus), m’a quelque peu coupé les jambes… Je n'irai plus sur des sommets trop dangereux, adieu les quatorze huit mille. La vie !
Bonnes expés à tous ceux qui sont en partance.
Expéditions en haute altitudes. Everest, Cho-Oyu, shishapangama…
Article parus dans le magazine « carnets d’expés » :
Carnets d'expéditions, Everest, Cho-Oyu, Shishapangma... Altitudes Tibétaines
Carnet d'expés, Lhassa qui m'a marquée.
Shishapangma, Cho Oyu and friends.
Les vents furieux de l'Everest.
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