Dolpo, Vallée de Tarap et Lac Phoksundo
L’on pense que les premiers tibétains ont pénétrés le Dolpo au premier siècle de l’ère chrétienne.
Il n’y avait que ces populations nomades habituées à l’altitude et au mode de vie qu’elle impose qui pouvaient s’installer en ces terres isolés vierges de tout et surtout de végétation. Depuis l’histoire du Dolpo est lié à celle du Tibet, mais cela les occidentaux ne le savent que depuis le milieu du XX° siècle période à laquelle l’occident a pris connaissance de cette région du monde en grande partie à cette époque grâce aux travaux des professeurs Tucci et Snellgrove.
Je consacre cette page à ce que j’ai pu apprendre et percevoir du Dolpo, et les deux pages suivantes à un itinéraire de trekking en boucle depuis l’aéroport de Juphal, à travers la vallée de Tarap, les cols Numa la et Basia La qui conduisent au village de Ringmo en bordure du lac de Phoksundo aux eaux turquoises (photo ci-dessous).
L'organisation et les rites varient quelque peu d’une vallée à l’autre, par exemple, les femmes tissent assises sur une chaise à Ringmo, c’est considéré comme maléfique dans la vallée de Tarap ou elles tissent assises au sol. Dans cette vallée on ne peut teindre en bleu dans les villages pour ne pas offenser les divinités du sous-sol dont le bleu est la couleur. Ci-contre à Dho, la femme du chef du village en l'année 2000, on reconnait son apparteance à une strate supèrieure à sa coiffe. |
Les strates et les lignées :
Dans la vallée de Tarap, la hiérarchie est corrélée à l’ancienneté des lignées. La strate de référence « Shimi » est celle des trois frères fondateurs, les premiers arrivés, les religieux en sont obligatoirement, ceux qui sont arrivés plus tard sont des « chogmi », puis viennent les forgerons (qui forgent à partir de métaux venus d’Inde du Nord) et autres (abatteurs, individus sans lignées ou d’origine inconnue, mendiants..). A l’intérieur des strates il existe des lignées, on distingue les lignées paternelles des lignées maternelles, et les lignées hautes, moyennes ou basses. Chaque lignée à une divinité protectrice qui siège prêt du foyer de la maison.
Ci-contre, le Lac Phoksumdo. Ci-dessous, Dho, vallée de Tarap.
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Les caravanes. La vallée de Tarap est située à 4 000 mètre, seule l’orge et la pomme de terre peuvent être cultivés à cette altitude (la pomme de terre se cultive au Népal depuis que les Britanniques l’ont introduite, traditionnellement il n’y en a pas dans la vallée de Tarap, elle est cultivée un peu plus bas).La vallée est située entre les salines tibétaines et les vallées népalaises plus basses en altitude permettant une agriculture variée. Cette situation géographique, certainement conjuguée à la tradition nomade des tibétains ont permis les caravanes de sel et de grains sans lesquelles habiter la vallée aurait été impossible, la récolte d’orge locale ne pouvant nourrir que 7 mois. Elles se déroulent en deux temps : il s’agit d’aller échanger de l’orge contre du sel au Tibet en été, puis du sel contre d’autres denrées plus bas dans les vallées népalaises au début de l’hiver. Elles existent encore aujourd’hui, traditionnellement il s’agissait de troc, 1 mesure d’orge permet d’obtenir 2 mesures de sel au Tibet, puis 2 mesures de sel 3 ou 4 mesures de céréales (blé, riz, Sarazins, maïs…). Aujourd’hui un tas de choses s’échangent se vende ou s’achètent. |
Autrefois la région dépendait à la fois du Royaume népalais de Jumla et de celui de Lo Manthang, l’actuel mustang, enclave tibétaine, qui devinrent népalais en 1769. Depuis le 21 Juillet 2008 le Népal est « un État fédéral, démocratique et républicain », suivant l’assemblée générale constituée en quasi-totalité de maoïstes élit Ram Baran Yadav à la présidence de la république, j’ai pu rencontrer, durant les années qui ont précédées, des représentants du mouvement maoïste aux confins du Dolpo. L’organisation particulière des communautés du Dolpo perdure encore aujourd’hui mais pour combien de temps ? Des écoles ont vu le jour, des accès se construisent, les touristes montrent une autre vision du monde depuis plusieurs années, comment les choses vont-elles évoluer ?
Avant les mouvements politiques népalais et l’autorisation aux étrangers de fréquenter les lieux en 1989, il y a eu l’invasion chinoise au Tibet, et en 1951 (au moment où le Népal s’ouvrait au monde extérieur), la déclaration du Tibet comme région autonome de la république populaire de Chine. Les années suivantes le gouvernement Chinois renforçait le contrôle des activités religieuses qu’il souhaitait abolir, impulsant un mouvement d’exode qui concernait laïques et religieux, les passages vers le Népal, empruntés depuis des siècles étaient connus, et la pays accueillis des tibétains. Ceux qui se réfugièrent au Dolpo sont ceux qui avaient l’habitude des caravanes de trocs, des pasteurs Drogpa de la vallée Tsangpo auxquels étaient auparavant confiés les animaux de la vallée de Tarap durant l’hivernage (depuis le bétail hiverne dans les basses vallées népalaises).
La région est isolée du fait des grandes barrières montagneuses alentours, néanmoins de très hautes montagnes l’on ne voit point, mis à part au passage du Numa La (5 200m) ou l’on peut apercevoir le Dhaulagiri si il est dégagé, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Dolpo n’a pas suscité l’intérêt des alpinistes à la conquête des plus hauts sommets du monde, tandis que cet intérêt à fait connaitre le Népal : Annapurna premier 8000, la première ascension de l’Everest.
Ces facteurs conjugués font que même si le XXI° siècle a finalement atteint le Dolpo, cette région reste l’une des rares ou la vie la vie quotidienne des autochtones est rythmé comme au Tibet de jadis.
Ce voyage est donc une immersion en territoire népalais occupé par un peplement tibétain longtemps isolé du monde extérieur et interdit aux étrangers, où les gens vivent au rythme de la nature et de ses contraintes selon une organisation particulière.
L’environnement du Dolpo est époustouflant, la vallée de Tarap (l’une des quatre vallées du Dolpo) et Ringmo/Phoksundo sont pour moi deux petits coins de Paradis.
Autrefois (avant la construction de route et surtout de l’aéroport de Juphal), venir jusqu’ici nécessitait de remonter la vallée de la Kali Gandaki (tour des Annapurnas) avant de tirer à l’ouest en franchissant une série de hauts cols, cette itinéraire peut bien sûr se réaliser encore aujourd’hui, il demande quelques journées supplémentaires. Depuis Juphal, rejoindre La vallée de Tarap ou Ringmo est assez cours, cette immersion en terre Dolpo Pa reste un voyage en altitude à ne pas sous-estimer, Dho est à 4 000 m, de là rejoindre Ringmo et le Lac Phoksundo nécessite le franchissement successif de deux cols de plus 5 000 m.
Le passage des cols se passe bien lorsque l’on est bien acclimaté, l’expérience m’a montré que deux journées dans la vallée de Tarap ne sont pas suffisantes, trois journées sont nécessaires pour limiter réellement les risques d’œdèmes
Au Dolpo, contrairement à d’autres régions Bouddhistes, on contourne les édifices religieux par la gauche et les bras des Svastikas sont orientés en sens inverse, héritage de la tradition Bön (religion chamaniste, comportant des éléments animistes et tantriques, antérieure au bouddhisme) qui dans sa forme pure survit principalement à Ringmo et Pungmo, deux villages qui se distinguent des autres de par un fonctionnement un peu différent. L’ordre religieux bouddhiste des nyingmapa a été réintroduit au Dolpo il y a 8 générations.
Dans la vallée de Tarap, les 7 temples ne sont occupés que durant les fêtes religieuses, un gardien veille sur eux le reste du temps. Les religieux mariés de l’ordre Bouddhistes nyingmapa (pour plus d'infos voir "le voyage du bouddhsisme tibétain, les ordres religieux) vivent au sein de la population, hormis ceux qui choisissent de vivre en Hermite. C’est l’ainé de la famille qui reçoit l’enseignement de trois ans, trois mois et trois jours qui lui permettra de devenir représentant de l’ordre nyingmapa, suite à quoi il pourra suivre d’autres enseignements pour devenir spécialiste en peinture de religieuses (Tankas) ou médecin ou lama.
Les cheveux se considèrent différemment selon les ordres religieux, il y a les crânes rasés ou tout le contraire. On reconnaît les religieux de l’ordre nyingmapa, tantrique, à leurs cheveux emmêlés qui ne se coupent pas et qui se rassemblent prenant des allures de coiffes (photo ci-dessus).
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Au fil des saisons.
Je me suis rendue au Dolpo à 3 saisons: Printemps, été, automne. Chacune permettant de connaitre une facette de cet univers.
Au printemps (photo-ci dessus), les vallées se réveillent, la première chose à faire est de remettre en état les canaux d’irrigation qui mènent l’eau vers les terres cultivables, puis de travailler et d’enrichir la terre malmenée par le gel de de fumier. Puis viens le cérémonial des semailles destiné à rendre la future récolte fructueuse. Les travaux s’organisent selon un système d’entraide, on commence par les parcelles les plus hautes. |
L’été les troupeaux qui hivernent dans les basses vallées montent aux pâturages à 4 200/5000 m d’altitude, Les Dolpo Pa élèvent quelques chevaux, Yaks, moutons et chèvres. C’est aussi le temps des pèlerinages et des caravanes vers le Tibet (la route du sel).
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Il faut composer avec la pluie, pas tous les jours, pas toutes la journée mais les grandes chaines montagneuses ne protègent pas complètement la région de la mousson.
Au mois de septembre, en attendant l’heure de la récolte, c’est l’abattage d’une partie du bétail qui fait l’objet d’une décision collective, la peau est ensuite travaillée pour devenir vêtements, coffres ou sacs.
A L’automne vient la saison des moissons qui s’effectuent avec les mêmes équipes et le même système d’entraide que celle des labours. Tout se fait à la main, une fois l’orge coupée et sécher, elle est conduite sur les aires de battage avant d’être stockée. On en donne une partie aux religieux pour leur propre consommation et pour en redistribuer aux plus pauvres.
L’hiver, les hommes cousent et tannent, les femmes filent et tissent la laine. Le temps de la fabrication des vêtements, sacs et coffres. C’est aussi le moment ou le débit des rivières est au plus bas, parfois gelé, permettant un accès plus rapide que par les cols aux vallées népalaises, c’est l’heure du troc de sel pour des céréales autres que celles que l’on peut cultiver à 4000 mètres d’altitude.
Padma Sambhava « né du lotus » aussi appelé Guru Rimpoche «le précieux Maître »
Une légende dit que Guru Rimpoche est venu au Dolpo pour chasser trois démones qui avaient commis des crimes en Inde. Une autre qu’une démone revancharde aurait inondé le village de Ringmo ou se trouvait Padma Sambhava et créa le lac Phoksundo. Les vallées du Dolpo seraient des vallées secrètes créées par Guru Rimpoche comme refuge pour les esprits exceptionnellement purs.
Enfin, il n’y aurais jamais d’orages à Do Tarap, le village étant protégé par le grand chorten qui contient les reliques de la démone que Guru Rinpoché pourchassa jusqu’ici afin de la transpercer de son poignard magique.
On dit qu’il aurait amené le Bouddhisme au Tibet et y fonda l’école des Nyingmapa, la plus orientée vers le bouddhisme tantrique. La pluparts des tibétologues s’accordent sur le passage de Padmasambhava au Tibet mais a quelles périodes ? Au VIII° siècle ou au X° ? Personnage clef du Bouddhisme, il est très représenté au Dolpo. Ce grand érudit, méditant et magicien, que certains considèrent comme le second Bouddha,peut apparaitre sous 8 formes différentes. On peut le reconnaitre à sa moustache et son bâton tantrique magique, il est le plus souvent représenté assis sur une fleur de lotus, sa main gauche tient une coupe crânienne contenant le nectar de l’immortalité, la droite le foudre, il porte le bonnet rouge de l’ordre Nyingmapa . Dans une certaine conception du Bouddhisme, la récitation de son mantra « Om Ah Hum », rend possible une intercession vers une Terre Pure de Félicité située à l'ouest. |
Mariages
Les Dolpo Pa se marient vers l’âge de 20/25 ans.
Les mariages se font entre membres d’une même strate, il est interdit de se marier avec quelqu’un de la même lignée, cependant les relations sexuelles hors mariages se pratiquent couramment, le père se doit d’entretenir l’enfant né d’une telle relation jusqu’à ses 5 ans, ensuite les filles restent avec leur mère, les fils rejoignent leur père (comme en cas de divorce).
Les divorces existent, ils se font à la demande de l’un des deux époux, chacun rends alors ce qu’il a reçu en cadeau de mariage, l’assemblée du village tranchent lorsque désaccord.
Organisation « politique », les décisions se prennent à trois niveaux :
L’assemblée du village qui regroupe les représentants des strates supérieures. Cette assemblée gère la vie communautaire.
Un « arbitre » Dolpo Pa pour l’ensemble du Dolpo
Un représentant du gouvernement népalais pour l’ensemble du Dolpo qui maintient les chefs héréditaires dans leur fonction.
La notion d’appartenance à un état népalais est absente dans l’esprit des Dolpo Pa qui pensent leur société comme souveraine.
Mort
J’ai assisté une fis à une crémation à Dunaï, plus haut, il n’y a pas de bois, on s’en procure pour bruler le corps des lamas, on enterre les morts de strate supérieure au cimetière en recouvrant leur corps de pierre, les corps des morts des strates inférieures sont jetés dans les torrents en aval des zones habitées.
On se purifie après tout contact avec la mort, prononcer le nom d’une personne morte fait partie des actes maléfiques, interdits pour éviter mauvaises récoltes, maladies ou autres désagréments.
Chaque lignée à une divinité protectrice qui siège prêt du foyer de la maison.
Fête estivale à la Gomba de Dho |
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Rites religieux
Ils sont extrêmement présents dans la vie quotidienne. Il s’agit de ne pas inquiéter les divinités des trois mondes (ciel, espace, sol) et de s’assurer de bonnes renaissances. Outre les règles à observer pour cela dans tous les domaines, le Dolpo Pa peut accroitre ses mérites en réalisant des pèlerinages, comme celui de Tarap (un jour), du Dolpo (20 jours), de Katmandu ou du Kailash, qu’il convient optimalement de réaliser certaines années.
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